Lutter contre la maltraitance. Épisode #1
Dans cette série, nous proposons au lecteur de mieux comprendre ce qu’est la maltraitance, la manière dont elle se manifeste et les moyens pour en empêcher le développement dans les institutions de l’Action Sociale. En effet, ces institutions sont trop souvent des espaces clos, sans réel contre-pouvoir : il n’est alors pas étonnant, que puissent s’y développer en toute impunité différentes formes de violence institutionnelle contre les personnes hébergées.
Notre souhait est de doter la personne concernée et/ou son entourage – professionnel ou personnel attentif à l’exercice de sa dignité -, des connaissances nécessaires pour comprendre ce qui se passe et défendre les droits fondamentaux de cette personne.
Nous commençons aujourd’hui par définir, ce qu’est la maltraitance et ses différentes catégories d’exercice.
- Les différentes formes de maltraitance.
Mais avant même de pouvoir étudier les différentes formes que la maltraitance peut prendre, il faut comprendre comment s’est effectué la prise de conscience de l’existence des maltraitances institutionnelles.
- 1 Naissance et développement de la perception de la maltraitance
Que se passe-t-il dans les lieux, qui accueillent les personnes en situation de vulnérabilité ? Les rapports qui s’y instaurent peuvent-ils être empreints de violence ?
Pendant longtemps, la puissance publique et la population ne se sont pas vraiment inquiétées des conditions de vie à l’intérieur des différentes institutions accueillant les personnes vulnérables. Essentiellement, parce que la folie, le hors norme ou encore la simple vulnérabilité n’ont jamais vraiment étaient admis au sein de sociétés utilitaristes, qui attendaient surtout de faire de leur population des producteurs, des guerriers ou des reproductrices accomplis dans leur art respectif.
Dans certaines sociétés, les plus concurrentielles et le plus fascisantes, les perdants ont été tout simplement éliminé physiquement, que ce soit par exemple à Sparte ou dans l’Allemagne nazie. N’oublions jamais. Par contre, dans de trop nombreuses autres sociétés, l’élimination physique aura été remplacée par la relégation de ce faible dans des lieux, où il sera invisibilisé aux yeux de la majorité de la population. Le fou sera enfermé dans le système asilaire, les pêcheresses ayant fait œuvre de chair dans les institutions religieuses pour jeunes femmes et les enfants délinquants ou simplement orphelins dans les bagnes pour enfants.
Au sein de ces institutions aux méthodes coercitives, on peut parler alors d’orthopédie sociale, puisqu’il s’agit de redresser, ce qui est dévié ou déviant. Et qu’importe alors qu’au résultat il y ait un petit peu de casse parmi les hébergés, notamment parmi ceux qui se rebelleraient face à cet enfermement répressif.
Les États-Unis des années 1930 à 1980 non pas été exempt de cet orthopédie sociale, notamment au sein des hôpitaux psychiatriques, où la lobotomie et les électrochocs étaient d’un usage courant, forcément pour le plus grand bien des internés ! Pour ceux qui ne l’ont pas encore vu, voyez à ce propos le film « Vol au-dessus d’un nid de coucou » avec Jack Nicholson comme acteur principal et quelques vrais internés dans les rôles plus secondaires.
Face à ce traitement attentatoire à la dignité humaine, une nouvelle génération de psychiatres a commencé à remettre en cause le système asilaire aux USA. C’est au sein de l’AMA – American Medical Association -, la principale association professionnelle de ce secteur, que la remise en cause du système asilaire a été la plus nette. Mais pour pouvoir dénoncer au mieux la maltraitance institutionnelle dans les asiles, encore fallait-il au préalable définir au plus juste ce qui constitue cette maltraitance.
Ce sont donc les psychiatres regroupés au sein de l’AMA, qui sont à l’origine de la création du tableau de la maltraitance, présenté un peu plus bas. Cette catégorisation a fini par s’imposer outre-Atlantique dans les débats sur les dérives de l’accompagnement des personnes vulnérables. En Europe, c’est la Grande-Bretagne qui a été la tête de pont de l’influence nord-américaine : cela a pu donner la propagation des idées néolibérales au sein du continent européen, mais cela a également permis la diffusion de la notion de maltraitance au sein de l’Europe.
Cette propagation de la notion de maltraitance s’est faite au sein du Conseil de l’Europe (à ne pas confondre avec l’Union européenne), où se retrouvaient nombre de pays anglo-saxons ou influencés par eux (exemple les pays scandinaves). Le Conseil de l’Europe, qui réunit désormais 46 pays du continent européen, a été créé durant les années d’après-guerre en 1949 et a pour fonction première de développer la notion des Droits de l’Homme. Le Conseil de l’Europe a donc validé la grille de l’AMA. Désormais dans l’environnement institutionnel européen, c’est cette grille qui prévaut pour appréhender au plus juste la notion de maltraitance.
1.2 Les catégories de la maltraitance
Issue donc des travaux de l’American Medical Association et validée par le Conseil de l’Europe, la classification des actes de maltraitance institutionnelle reconnait 5 catégories d’abus et 2 de négligences :
Classification AMA/CE | |
Abus | Violences physiques |
Violences psychiques ou morales | |
Violences matérielles et financières | |
Privation ou violation des droits | |
Violences médicales ou médicamenteuses | |
Négligences | Négligences actives |
Négligences passives |
Les abus parlent d’eux-mêmes et sont assez facilement repérables : une gifle portée sur la joue d’un enfant ou la camisole chimique administrée à un adulte sont qualifiables pour ce qu’elles sont. Les difficultés proviennent surtout :
1°) de l’interprétation à en donner : les neuroleptiques administrés en psychiatrie sont-ils destinés à calmer les angoisses trop envahissantes de l’interné, afin qu’il puisse mieux se concentrer sur les entretiens thérapeutique dont il bénéficie ? Ou, au contraire, servent ils uniquement à empêcher ses troubles du comportement, liés en grande partie a la vacuité de son internement et à la faiblesse des entretiens thérapeutique et des activités qui lui sont proposés.
2°) de l’extrême indulgence, voire de la complicité, qu’un certain nombre de professionnels ont envers leur collègue fautif ou envers les institutions pernicieuses. Au Collectif pour une Ethique en Travail Social, nous avons bien remarqué que nombre de témoins d’agissements violents envers des hébergés, parfois même très jeunes, étaient plus facilement enclin à protéger le collègue fautif de tout risque de licenciement qu’à interroger la pertinence de son maintien dans l’institution.
Les abus et leur caractère violent ne constituent que la partie émergée de l’iceberg. La partie immergée est constituée d’un nombre extraordinaire de négligences au quotidien. Prenons quelques exemples pour bien comprendre la différence entre les négligences passives et celles actives : en EHPAD comme dans certaines MAS, l’énurésie de certains hébergés nécessite l’utilisation de protections. Une négligence active consisterait de la part de l’institution à commander un nombre trop restreint de ces protections, sous prétexte qu’elles coûtent trop chères. Dans le cadre d’une négligence passive, les protections sont commandées en nombre suffisant, mais le salarié en charge de telle ou telle unité n’aura tout simplement pas le temps de changer chaque résident à chaque souillure, alors qu’il a à gérer la prise en charge de toute cette unité et de tout le groupe.
On peut étendre aussi cette question de la négligence au déficit d’usage dans les projets personnalisés. Ce projet personnalisé doit être au service de la singularité de chaque résident, pour co-construire avec lui un destin, qui correspond à ses besoins et à ses envies. Une négligence active consisterait à ne pas créer dans toute l’institution, de tels projets personnalisés ; ce qui en 2024, malgré la loi de 2000-2, existe toujours.
Une négligence passive consiste à créer non pas des projets personnalisés adaptés à la singularité de chacun des résidents, mais seulement individualisés. C’est-à-dire qu’il existe effectivement une « fiche projet »au nom de chaque résident, mais rédigée en des termes trop généralistes, pour correspondre à la problématique particulière de la personne. Chaque résident se verra affublé de formulations vagues comme « favoriser son bien-être » et « développer son potentiel », sans qu’à aucun moment ne soient précisées quelles formes doivent prendre ce bien-être et quelles sont les capacité à travailler chez la personne.
Dans notre secteur de l’Action Sociale, les institutions devraient être bien plus fermes face aux abus et tellement plus attentives à leur organisation face aux négligences.
Dans notre l’épisode 2 de cette série, nous verrons les risques encourus par les personnes au courant de maltraitances et qui ne les dénoncent pas.