Assassinat de la petite Rose : comment situer les responsabilités ?

Le meurtre récent, en avril 2023, de la petite Rose, 5 ans, par un prédateur ne peut que choquer chaque citoyen, quand une si jeune vie disparait si brutalement et dans de telles circonstances. Ce drame ne peut aussi qu’interpeller ces mêmes citoyens, quand on sait que l’agresseur n’avait que 15 ans et qu’il était passé depuis une première agression sexuelle sous les fourches caudines de la Justice pour Mineur et de la Protection de l’Enfance, dont il venait de sortir d’un de ses foyers en mars, à peine un mois avant l’assassinat.

 

Ces 2 grandes institutions sont-elles fautives et responsables de cette situation ? Elles sont en tout cas concernées et ont eu à gérer en partie l’enchaînement des circonstances qui a abouti au drame.

Au Collectif pour une Ethique en Travail Social, nous avons par notre objet même le devoir de chercher à évaluer les responsabilités des acteurs institutionnels. Non pas pour hurler avec les loups, qui trouveront encore avec un tel fait divers une occasion de réclamer un durcissement des mesures et le primat du répressif sur l’accompagnement socio-éducatif et psychiatrique des mineurs. Nous restons persuadés de la nécessité d’affirmer, comme l’avait fait Charcot avec les malades mentaux il y a déjà 150 ans, de « l’éducabilité des fous », a fortiori quand ils sont si jeunes.

Mais si nous défendons le principe de l’éducabilité face à la répression, encore faut-il que la société se donne dans ses modalités pratiques les moyens de mettre en œuvre cette éducabilité. Et c’est justement dans l’instauration des modalités, qu’il est possible d’interroger les acteurs ayant cette charge.

  1. Les mesures mises en place

A l’issue d’une première agression sexuelle à 14 ans, l’assassin de Rose avait été placé dans un Centre Educatif Fermé. La privation de la liberté de ce jeune répondait à deux nécessités. La première consistait à faire assumer par la Justice, au regard de l’opinion publique, la « vengeance symbolique » confiée aux Etats par une sanction du comportement de ce jeune. La seconde consistait à profiter de ce laps de temps, pour appréhender les réponses éducatives et thérapeutiques à apporter à ce jeune durant et à l’issue de son placement.

C’est le code pénal qui ordonne que les placements en CEF ne dépassent pas un an. En ce sens, la loi a été respectée. Mais qu’aurait-il dû se passer à l’issue de cette année ? Effectivement, si le travail socio-éducatif et thérapeutique auprès de ce jeune avait porté ses fruits, qu’il avait compris l’amoralité de cette première agression, s’il avait appris lors de son placement à canaliser ses pulsions sexuelles, alors effectivement un retour en famille auprès de sa mère était justifié.

Or, lorsqu’à l’issue de la seconde agression, celle sur Rose, le jeune a été expertisé par un psychiatre, celui-ci a fait part dans ses conclusions d’une « altération du discernement » et d’une « dangerosité pour les autres ». Si ce diagnostic a pu être porté un mois après la sortie de l’ado du CEF, il aurait pu l’être un mois plus tôt.

De plus, même si les enquêtes journalistiques sur le terrain, avec micro-trottoir auprès du voisinage, sont enclines plus à relever les seuls faits interpellant, il semble néanmoins que le jeune n’était pas scolarisé et que son comportement dans la rue détonnait : il apparaissait comme une sorte de petit chien fou avec « une case en moins », qui effrayait les passants en fonçant sur eux à vélo. Visiblement la mère n’était pas en capacité d’assumer son autorité sur son fils et de réaliser son éducation. Il est étonnant que de tels indicateurs du comportement perturbé de l’adolescent, relevés dans son quartier, n’aient pas été, peu ou prou, observables au sein du CEF.

Alors pourquoi une telle« remise à parents » , assorti juste d’un vague suivi judiciaire ?

  1. Les mesures qu’il aurait fallu mettre en place

L’autopsie a révélé que la jeune Rose n’a pas subie de pénétration sexuelle, contrairement aux deux jeunes garçons qu’il avait agressés la première fois. Mais il ne fait aucun doute que l’adolescent était conduit par ses pulsions sexuelles et qu’il cherchait une jeune proie. La petite Rose se sera-t-elle débattue face à son agresseur ? Celui-ci pour la faire taire n’aura-t-il trouvé le moyen que de la tuer ? Ou bien est-ce un « accident » ? Mais quoi qu’il en soit, il avait bien conduit la petite dans cette maison inhabitée, où a eu lieu le drame, pour assouvir sa pulsion.

La dangerosité du jeune ne pouvait qu’être patente, si tant est que le CEF se serait donné les moyens de la vérifier. L’adolescent aurait dû durant son année de placement faire l’objet d’un programme socio-éducatif et thérapeutique de la part d’une équipe pluriprofessionnelle composée d’éducateurs et de psy (psychologue et psychiatre). Un bilan aurait dû être effectué à l’issue de cette année, un peu avant sa libération, et communiqué au Juge des Enfants.

Le juge, s’il avait été rassuré par ce rapport, aurait confié l’enfant à sa mère, mais en assortissant sa décision, non pas d’un simple contrôle judiciaire, mais d’une mesure d’Accompagnement Educatif en Milieu Ouvert (AEMO) pour permettre à un Educateur d’exercer un véritable suivi/contrôle de la situation de l’adolescent. Cette mesure aurait même pu être « renforcée » : un psychologue adjoignant son travail à celui de l’éducateur.

Si le magistrat avait reçu un rapport faisant état de doutes sur la dangerosité du jeune, il n’aurait pas pu le maintenir dans le CEF à cause des limites de la loi, mais il aurait pu ordonner un placement en pédopsychiatrie à l’issue. Un tel lieu peut être fermé et le travail sur l’accompagnement de l’ado aurait continué à l’abri des murs. Ce n’est que progressivement que la mesure aurait pu être couplée, si le jeune progressait dans la compréhension et l’amendement de son comportement, avec un placement en Foyer de l’Enfance. Il aurait alors été placé au foyer le soir et les week-ends et eu des activités de jour en pédopsychiatrie. Le contact avec sa mère aurait été maintenu, non lors de retours sur le quartier, mais par l’intermédiaire de « visites médiatisées », dans un lieu tiers et en présence d’un professionnel.

  1. Les premières pistes explicatives de la carence des institutions

Pour notre Collectif, au vu de la situation, le jeune ne nous semble pas, devant les professionnels de la Justice et de la Protection de l’Enfance, avoir été un dissimulateur, ayant su masquer la continuité des pulsions sexuelles l’agitant. L’adolescent nous apparaît plutôt comme un jeune déficient intellectuel, de léger à moyen, avec des troubles associés, dont des pulsions, qu’il ne maîtrise pas. S’il avait été un tel dissimulateur, la responsabilité des professionnels, de n’avoir pas su qu’il remettait en liberté un prédateur attendant son heure pour passer à l’action, eut été amoindrie.

Non, pour nous, avec le profil que nous pensons pouvoir identifier avec un recueil d’informations certes indirectes, mais néanmoins parlantes, l’adolescent n’était pas en mesure de dissimuler à un œil observateur ou même simplement curieux les pulsions qui l’animaient. Pour nous, les différents acteurs de son accompagnement, à partir de sa première agression et son placement en CEF, ont tout simplement été défaillants, individuellement et collectivement.

Il faudra attendre les conclusions des différentes enquêtes, celle bien sûr judiciaire, mais aussi celle de l’Inspection Générale de l’Action Sociale (IGAS), voire même parlementaire si cela se trouve, pour identifier de meilleure manière ces défaillances. Mais d’ores et déjà il est possible de poser un certain nombre de questions :

1°) Au sein du CEF, l’adolescent a-t-il bénéficié d’un programme ou d’une approche spécifique, réalisé en équipe pluriprofessionnelle (éducateurs et psy), correspondant à sa problématique de jeune prédateur sexuel, tentant de lui faire comprendre les conséquences de ses actes pour ses jeunes victimes ? Et l’aidant à canaliser ses pulsions ?

2°) Le juge des enfants, à proximité de la fin du placement de l’ado en CEF, a-t-il reçu un rapport suffisamment circonstancié et analytique lui permettant de se faire une opinion sur les évolutions du comportement du jeune et la régulation ou non de sa dangerosité ?

3°) Le magistrat, s’il avait voulu y placer le jeune à l’issue de son année au CEF, ne serait-ce qu’à titre conservatoire, disposait-il sur le département de places en pédopsychiatrie ? Idem pour les mesures d’AEMO, puisque la « remise à parent » avait été décidée : un service spécialisé avait-il été sollicité ? Ce service disposait-il d’éducateurs immédiatement disponibles ? Même question, en amont du retour dans la famille : une Observation en Milieu Ouvert (OMO) avait-elle été ordonnée pour connaître les capacités éducatives de la mère envers son fils ? Existait-il des moyens effectifs de faire réaliser cette OMO?

Il devra être répondu à ces questions par les différentes enquêtes mandatées. En attendant, il est néanmoins possibles à notre Collectif de suggérer, comme nous l’avons fait dans ces lignes, des éléments de réponses, au moins plausibles, si ce n’est probables.