Un besoin absolu de sens

Il en a fallu du courage à Ali pour sortir de son lit et de la prostration dans laquelle il s’est retrouvé. 15 jours auparavant, en réunion, il faisait état devant ses collègues de l’équipe socio-éducative de sa stupéfaction de la forme de maltraitance insidieuse ou même virulente, qu’il observait de la part de certains professionnels. Naïvement, il pensait ne pas se situer dans la dénonciation calomnieuse du comportement de l’un ou de l’autre, mais obtenir l’appui de la majorité de ses collègues pour mettre fin en bonne intelligence à certaines dérives.

Ali n’avait pas anticipé un seul instant, quel pourrait être l’extraordinaire mécanisme de défense, qui allait alors animer collectivement l’équipe : celle-ci, non seulement fut dans le déni du comportement de certains de ses membres, mais en plus elle retourna l’accusation et se livra à une critique absolu et complètement psychologisante du jeune professionnel. L’équipe alla alors jusqu’à remettre en cause, non seulement le jugement que portait Ali, mais aussi ses capacités mentales. En d’autres termes, pour porter ces accusations comme il l’avait fait, Ali devait être forcément fou.

Ce lynchage public complètement inattendu précipita Ali dans un épisode dépressif aussi sévère que brutal. C’est sa compagne qui, voyant son état, sollicita un des membres de notre collectif, qu’elle connaissait de loin.

Quand Ali se retrouva devant quelques-uns des membres du Collectif pour une Ethique en Travail Social, il s’agissait de sa première sortie depuis ces fameux 15 jours et c’est quelqu’un de profondément affecté, qui se tint devant nous. Pour lui la violence avait été triple : à la violence originelle qu’il avait constaté envers des hébergés, s’était donc rajouté le constat supplémentaire de l’impossibilité de l’équipe d’oser se remettre en question ; l’agressivité marquée à son égard n’avait constitué qu’une couche supplémentaires dans la terrible désillusion, que lui procurerait ce secteur, dans lequel il était entré avec la foi et tous les espoirs d’un néophyte.

Notre proposition d’accompagnement

Ali était ce qu’on appelle un lanceur d’alerte. Dans nombre de situations similaires rapportées à notre Collectif, nous avons souvent pu constater un phénomène double : à la maltraitance exercée envers les usagers peut se rajouter un phénomène corollaire de malmenance du salarié, qui oserait s’élever contre cette même maltraitance.

Pour trouver des solutions à la situation rapportée, l’accompagnement que nous proposons aux lanceurs d’alerte repose sur une écoute méthodique, dite de « résolution collégiale ». La méthode originelle , kollegial beratung, avait été ramenée d’Allemagne par un de nos membres.

Les étapes sont les suivantes :

Etape 1

Un seul membre de notre Collectif entre dans un premier temps en interlocution avec le lanceur d’alerte, pour lui permettre d’effectuer une fonction « déversoir » : en effet cette personne est souvent sous le coup d’une telle émotion, qu’elle ne peut pas porter un regard immédiatement objectif. Il lui faut d’abord pouvoir raconter son histoire, tout en étant soumis à ses émotions et sans forcément trouver un fil directeur à son propos. Ce côté décousu, empreint d’émotion, doit être vécu par le lanceur d’alerte, avant de pouvoir le dépasser.

Etape 2

Cette fonction déversoir étant dépassée, le lanceur d’alerte est invité à rencontrer 3 personnes de notre collectif, afin de mieux définir le positionnement, qu’il pourra adopter face à la situation de maltraitance relatée. Ces 3 personnes comprennent une psychologue, un analyste plus versé dans les questions institutionnelles et une personne pair. C’est-à-dire, pour cette 3° personne, qu’il s’agit d’un professionnel possédant le même diplôme que le lanceur d’alerte, si celui-ci est un professionnel de l’équipe pluriprofessionnelle de l’institution ; il peut s’agir également d’un parent de bénéficiaire, si le lanceur d’alerte est lui-même parent.

Méthodologie de l’étape 2
La finalité de cette écoute active consiste à ouvrir des pistes résolutives de la situation apportée par le lanceur d’alertes. Ce temps d’écoute est limité à 1 H pour inviter chacun à être le plus concis possible. L’un des 3 membres du Collectif présent est garant de la méthode et du temps.
Rappel de l’objectif et du déroulement : 5 minute Ecoute des éléments factuels par le lanceur. Il n’est pas interrompu par les 3 écoutants : 10 minutes Questions de compréhension par les écoutants : 15 minutes Proposition par les écoutants ; ceux-ci peuvent éventuellement adopter une forme plus incarnée dans les propositions (ex. « si j’étais le président, j’aimerai être alerté à tel moment, de telle manière… » : 20 minutes Réappropriation et reformulation par le lanceur des propositions, qui lui conviennent : 10 minutes

Etape 3

Le but de notre collectif est de soutenir les lanceurs d’alerte, mais pas de se substituer à eux. Le lanceur d’alerte quitte l’étape 2 en ayant des pistes d’investigation ou de lutte à mener. Il va donc, de retour dans son établissement, procéder à la mise en œuvre de la tentative de résolution, qu’il aura retenu lors de l’étape 2 et de la réunion de la résolution collégiale.

Bien sûr, la problématique soulevée ne sera pas forcément résolue durant cette étape 3. Il peut y avoir tant d’obstacles à surmonter et d’acteurs frein au sein de l’établissement en lui-même ou dans l’environnement institutionnel de celui-ci, si le lanceur d’alerte décide de porter la situation à l’extérieur. Mais à tout moment, dès que le lanceur identifie de nouvelles difficultés pour résoudre la situation, il peut demander à rencontrer à nouveau l’équipe de la résolution collégiale et entamer une étape 2 bis suivie d’une étape 3 bis, etc…

Les possibilités

Souvent le lanceur d’alerte est confronté à ce qu’on peut appeler un effet tunnel : il est tellement obnubilé par la situation qu’il aura découverte, qui lui est alors difficile de se décentrer et de réfléchir aux actions, qu’il serait possible de mobiliser. Par exemple, si le lanceur d’alerte a connu une fin de non-recevoir de la part de l’équipe et de la hiérarchie professionnelle, a-t-il seulement pensé à interpeller les bénévoles du Conseil d’administration, peut-être plus favorable à écouter son récit ? Ou à solliciter la tutelle de l’établissement, que ce soit le Conseil Départemental ou l’Agence Régionale de la Santé concerné ? Ou encore a-t-il porté la situation devant le Défenseur des Droits ? Il lui faut parfois recevoir des conseils pour savoir comment interpeller ces personnes ou ces instances.

Le lanceur d’alerte a parfois besoin d’être rassuré sur les risques, qu’il peut encourir à dénoncer les pratiques du clan, qui domine négativement l’établissement et favorise l’omerta en son sein. Nous fournissons aussi des réponses à ce niveau sur les garanties qu’offre la loi, qu’il s’agisse de pouvoir témoigner anonymement ou d’être protégé, si on le fait à visage découvert.

Parmi les lanceurs d’alerte, que nous avons accompagnés, aucun d’entre eux n’est allé solliciter le pouvoir médiatique, dont l’écho possède cependant une grande capacité à l’accélération de la résolution. Peut-être que, pour les lanceurs d’alerte que nous avons connu, cette possibilité-là représentait symboliquement une trop grande marche à franchir, par rapport au caractère proto familial des institutions, qui ont toujours préféré laver leur linge sale en leur sein.

Mais des alertes en interne ont pu être effectuées et des mobilisations d’acteurs internes plus enclin à affronter de face les problèmes de maltraitance dans l’institution ont pu être effectuées.

Nous avons constaté aussi un autre phénomène : certains « apporteurs » de situation n’ont finalement pas désiré se transformer en lanceur d’alerte : ils ont préféré quitter l’institution dans une logique in-out, sanctionnant l’institution par leur départ. Ils se sont alors emparés de notre Collectif pour obtenir une fonction réflexive, qui vient leur dire si leur regard sur la frontière entre l’acceptable et l’inacceptable était juste. Ali, quand il a pu comprendre qu’il n’était effectivement pas fou, mais que la norme du groupe dominant dans son institution était, elle, pathologique, a pu se rassurer. Il a pu ensuite aller chercher ailleurs un endroit, dont l’éthique en action était plus affirmée.

Au sein de notre Collectif, nous respectons les 2 démarches : que l’apporteur de situation se mue en lanceur d’alerte, et favorise ainsi à la résolution de la problématique rencontrée dans son établissement, ou qu’il ait surtout besoin d’être rétabli dans ses certitudes, sans devenir lui-même lanceur d’alerte. Il est surtout important, que nous puissions être à l’écoute de toutes ces personnes, pour les aider à analyser si des fondamentaux dans l’exercice du droit des personnes ont été bafoués et à s’interroger alors sur les pistes résolutives, qui peuvent être envisagées. Ensuite, les choses étant devenues plus claires, à chacun de se déterminer.

Et si vous êtes concerné

Si vous vous posez des questions sur le caractère plus ou moins éthique de l’accompagnement proposé par tel établissement ou service, que vous soyez bénéficiaire vous-même de cet accompagnement, parents de la personne concernée ou professionnel dans ce lieu, et que vous voulez joindre notre Collectif pour nous faire part d’une situation, utilisez la fonction « contact » située dans la page accueil

A la réception de votre message, nous vous recontacterons par mail ou par téléphone comme vous nous l’aurez indiqué. Nous répondrons à toutes vos questions en amont sur l’accompagnement que nous pouvons vous offrir en tant qu’apporteur de situations, avant de savoir si vous voulez être lanceur d’alerte. Bien sûr, nous respecterons toujours votre position et vous pourrez décider en permanence d’abandonner ou de continuer la démarche, quelle que soit l’étape à laquelle vous serez arrivé.